Dans la continuité de la politique européenne : La crise sociale s’aggrave en Espagne

Dessin satirique de Babouse


Si les secteurs économiques et financiers ont été frappés de plein fouet dès le lendemain de la crise de 2008, c’est maintenant que les répercussions se font sentir, essentiellement dans les pays de l’Europe du Sud. C’est à présent au tour du secteur social de subir les conséquences des exactions des traders de Wall Street.

Les manifestations contre l’austérité se font de plus en plus violentes partout en Europe : Elles commencèrent en Irlande, puis s’étendirent en Grèce. Elles se propagent à présent au reste de l’Europe du Sud comme une trainée de poudre, en Italie, au Portugal et en Espagne.

La forte croissance nationale que l’Espagne a connue à l’aube de la crise (une moyenne de 3,8% du PIB entre 1997 et 2007) n’aura clairement pas endigué le raz-de-marée politico-économico-social qui est en train de ravager le pays. Car c’est bien l’explosion de la bulle immobilière et le transfert de la dette privée vers la dette publique, additionné à la crise de Wall Street qui explique la situation délicate de l’Espagne aujourd’hui : un taux de chômage à 25 % (le plus élevé d’Europe…) avec près de 50% de chômage chez les jeunes ! Le plein emploi et la croissance de la seconde moitié du XXème siècle ont laissé place à la précarité et à la misère sociale. Hommes et femmes de tout âge doivent à présent fouiller dans les poubelles des restaurants et des supermarchés pour subvenir à leurs besoins alimentaires.

Fil rouge de l’actualité espagnole

Afin de mieux comprendre les réactions populaires, il convient de revenir sur les décisions économiques importantes prises par le gouvernement espagnol, en accord avec l’Union Européenne. Ces faits sont relatés par S. Vrignaud, notre correspondant en Espagne.

Les faits pour ce premier semestre 2012

Le 3 Mai
Les eurocrates de la BCE sont en visite à Barcelone pour un plan de relance de l´économie, ou devrait-on dire, un plan de relance de l´austérité européenne. La ville deviendra, pendant plus de quatre jours, une véritable ville-forteresse, avec 4 500 policiers déployés partout, des contrôles récurrents à la frontière franco-espagnole et à l´aéroport « El Prat ». Les avenues utilisées pour le déplacement des eurocrates sont barricadées et étroitement surveillées, pendant que des hélicoptères font des rondes au-dessus de la ville. Tout cet argent (du contribuable…) engagé (gâché !) pour une réunion parmi tant d’autres, n’aura servi qu’à préparer les espagnols  à “la rigueur”…

Le 17 mai
Le système bancaire espagnol  va très mal et se voit obligé de sauver Bankia, la quatrième plus grande banque du pays. Aucune surprise. Comme toujours les gains sont privatisés et les pertes sont nationalisées. Le quotidien espagnol « El Mundo » a révélé dans un article du jeudi 17 mai que, suite à la nationalisation de la banque, ses clients auraient retiré plus d’un milliard d’euros en à peine sept jours ! Selon le journal, ces informations proviendraient directement du Conseil d’Administration qui s’était réuni le mercredi 16 mai. La banque et le gouvernement espagnol, eux, ont formellement démenti l’existence d’un « retrait panique » des clients de la banque… Cette ruée sur les banques devrait s’étendre progressivement aux autres pays européens. Quant aux espagnols, ils ont même franchi les frontières pour se réapprovisionner dans les distributeurs automatiques français… Cela s’appelle un « Bank Run » géant, bien plus grand que celui de 2008 en Angleterre avec la Northern Rock. Et contrairement à l’Angleterre, l’Espagne ne pourra nationaliser toutes ses banques.

Le 20 juillet
Réaction populaire : On a dénombré 800 000 manifestants dans les rues de Madrid, où, par deux fois, la police royale espagnole a tiré sur la foule avec des balles en plastique ! Du côté de la Catalogne, on a dénombré 400 000 manifestants à Barcelone.

Mai 2012 – Des milliers d’espagnols regroupés sur la place madrilène

 

Les manifestations en Espagne  « montrent qu’une explosion sociale menace en raison du fort taux de chômage des jeunes en Europe », selon la déclaration de M. Schulz, président du Parlement Européen, au quotidien populaire allemand Bild. Il a aussi plaidé pour la mise en œuvre rapide « de nouveaux programmes » afin de favoriser l’emploi des jeunes.

Les « mesures » anti-crise prises par le gouvernement

Le pays tout entier se prépare à renflouer les caisses. Renonçant à ses promesses, le chef du gouvernement de droite Mariano Rajoy a décidé une hausse de la TVA, qui devrait rapporter 22 milliards d’euros d’ici à 2014. Les fonctionnaires, qui ont déjà vu leurs salaires réduits de 5% en 2010, puis gelés, perdent en 2012 leurs primes de Noël, l’équivalent de 7% du salaire. Notons que la TVA est de loin l’impôt le plus injuste socialement car il est inévitable pour les classes les plus défavorisées.

Les chômeurs espagnols bénéficiant de l’allocation de chômage de base de 426 euros se sont vus interdire de quitter le territoire espagnol sous peine de se voir retirer leurs indemnités.  Pour ces chômeurs, tout voyage en dehors des frontières espagnoles entraînerait immédiatement leur radiation des listes de demandeur d’emploi, ainsi que la suspension du versement de leur allocation, indique le site econostrum.info. Ceux-ci se retrouveraient alors dans l’obligation de patienter douze mois avant de pouvoir se réinscrire et bénéficier de l’allocation !

Cette mesure, adoptée par le Ministère espagnol du Travail, vise à empêcher les chômeurs de prendre un emploi saisonnier à l’étranger tout en continuant à percevoir leurs indemnités. Un chômeur averti en vaut deux…
Un article du Journal « Frankfurter Allgemeine Zeitung » révèle que l’Espagne a de l’argent jusqu’en septembre 2012 seulement et qu’après, elle sera en défaut de paiement !

Zoom sur la catalogne

Barcelone, deuxième plus grande ville d´Espagne (onzième ville la plus peuplée de l’Union européenne et la sixième en incluant sa banlieue) a vu 400 000 manifestants investir ses rues lors de la dernière manifestation. Le mouvement reste toutefois très pacifiste. En face, La Mossos d’esquadra (police de Catalogne) ne cesse d´embaucher du personnel depuis 2009 et déploie largement sa puissance de contrôle sur les parcours. Les citoyens sont invités à la délation contre « la violence urbaine » sur le site officiel de la police, pour pouvoir contenir les réactions à la vague d’austérité qui s’accentue avec les mesures européennes.

Après les brutalités de l’été 2011 sur le camp des indignés installés à la Plaza Catalunya, puis les multiples opérations d’infiltration de policiers en civil dans la foule afin de créer de la violence, de la casse et ainsi délégitimer les manifestants, le vent commence à tourner et on commence à voir des policiers, des pompiers mais aussi des fonctionnaires de la justice rejoindre les rangs des protestataires…

En réaction à cette mascarade politique et financière s’est développée une alternative agricole d’auto-gestion. En effet la Catalogne reste une région qui a une forte culture agricole, et les indignés de Barcelone s’intéressent aujourd’hui à une lutte active et prometteuse en fondant un mouvement orienté sur l’idée d’une transition de la ville de Barcelone vers l’autogestion agricole, la réappropriation des espaces verts, la permaculture, la décroissance et la création de jardins potagers en milieu urbain.Finalement, si pour l’instant le bonheur n’est pas d’actualité à Barcelone, l’espoir est dans le pré….

Avril 2012 – Banlieue de Madrid – File d’attente devant une agence pour l’emploi

 

Malgré le mécontentement populaire à l’encontre de la politique d’austérité nationale, une nouvelle hausse des prix est à prévoir : La cécité de la classe politique espagnole est ahurissante. Ce ne sont ni les 100 Millions d’euros débloqués le Samedi 9 Juin 2012 par Bruxelles à l’encontre des banques espagnoles, ni le plan de rigueur de 64 Milliards d’euros décidé en juillet 2012, ni celui de 102 Milliards d’euros opté ces dernières heures, qui ne changeront quoi que ce soit. Ces millions sont comme de minuscules pansements posés sur une plaie béante ; ils ne stopperont pas la colère populaire qui ne cesse de croitre, et qui s’exprime non seulement dans les rues de Madrid, mais aussi dans 80 autres villes du pays, offrant un paysage chaotique à qui veut bien le voir, le diffuser.

Une chose peut expliquer de manière rationnelle la montée des tensions au sud des Pyrénées : nos cousins espagnols sont dans une position de survie, leurs assiettes et leurs comptes bancaires sont vides, leurs maisons saisies suite à des retards de paiement. Une seule loi prévaut dans ce cas : la loi du plus fort ! Même si elle a toujours existé, cette loi se fait de plus en plus violente et oppressante, à l’image de Rajoy et de sa politique de soumission économique.

« C’est donc du côté de la croissance et surtout du chômage en général, et du chômage des jeunes en désarroi total que naîtra courant 2012 une véritable crise sociale en Espagne. » Tels étaient les propos tenus par Pascal De Lima, économiste et professeur à Science-Po, dans un article parut sur le site Atlantico le 5 Avril 2012. On peut malheureusement compter sur Rajoy pour ne pas s’opposer à l’inexorable marche vers l’accentuation de la crise sociale chez notre cher voisin.

Pour aller plus loin, voici un reportage sur le même sujet. Pour le visualiser cliquer içi